vendredi 14 septembre 2007

Irvine Welsh – If you liked school, you’ll love work

If you liked school, you’ll love work est le titre du dernier livre d’Irvine Welsh, l’auteur qui avait enfanté le culte Trainspotting en 1993. Depuis, le plus écossais des écrivains contemporains a signé une demi-douzaine de romans et trois recueils de nouvelles, parmi lesquels je vous conseille hardiment : Exstasy, Une Ordure (Filth) et Porno (la suite de Trainspotting dans laquelle on retrouve tous les personnages 10 ans plus tard… sur le tournage d’un film x).

Malheureusement, Irvine Welsh est boudé par les traducteurs français depuis bientôt 10 ans. A ma connaissance, seuls Trainspotting, Exstasy, et Une Ordure ont fait l’objet d’une traduction dans la langue de Molière. Pour les autres, il faudra se contenter de la version anglaise, ce qui n’est pas une mince affaire. En effet, Irvine Welsh revendiquant haut et fort son écossitude, ses histoires sont souvent relatées avec l’accent du coin, fidèlement reproduit sur papier par une écriture plus proche de la phonétique que des précis de grammaire d’Oxford. Comme si ça ne suffisait pas, ses personnages n’hésitent pas à s’exprimer dans leur patois local, ce qui nous donne des textes colorés… mais plutôt ardus. Pour se faire une petite idée, il suffit de se remettre le DVD de Trainspotting en VO et d’écouter attentivement Francis Begbie, le personnage incarné par Robert Carlyle. Par rapport au bouquin, c’est le personnage dont le phrasé a été le mieux respecté. Dit autrement et sans vouloir paraître hautain, ceux qui ne pigent que l’anglais version NBC News trouveront Irvine Welsh illisible dans le texte. Petite astuce toutefois : l’édition américaine de Trainspotting est agrémentée d’un petit glossaire, ma foi bien utile pour déchiffrer l’ensemble de l’œuvre de Welsh.

La bonne nouvelle, c’est que pour son 9e livre, Irvine Welsh a quelque peu dilué son accent d’Edimbourg. En réalité, il a contourné le problème : sur les cinq nouvelles présentes au sommaire, trois ont planté le décor aux States et une en Espagne. Les quatre premières histoires se lisent donc sans aucun problème, d’autant qu’elles sont relativement courtes (environ 50 pages chacune). Pour la dernière nouvelle, par contre, il faudra s’armer de patience car elle prend place en pleine banlieue populaire écossaise et s’étale sur… 180 pages. L’auteur s’y donne à cœur joie et pond un texte qu’il faudrait lire à haute voix pour mieux en apprécier les saveurs.

L’autre bonne nouvelle, c’est que, pour une fois, la plume d’Irvine Welsh s’attaque à un univers qui ne se limite pas aux drogues dures, aux bagarres à la sortie des stades de foot, à la bière plate qui se descend par hectolitres ou aux rave parties.

Au menu
Dans Rattlesnakes deux gars et une fille décident d’aller se faire un trip dans le désert du Nevada. Toute l’intrigue consiste à comprendre par quel enchaînement d’événements malheureux la nana va se retrouver à moitié à poil, pendant qu’un des gars pratique une fellation sur son compagnon de virée, sous le regard menaçant de deux Mexicains armés jusqu’aux dents. Tout un programme…

If you liked school, you’ll love work raconte les déboires d’un Anglais qui a quitté sa femme pour ouvrir un pub sur la Costa Brava. Coup sur coup, il va devoir gérer sa fille qui rapplique à l’improviste pour passer les vacances au soleil, une ex-petite amie débarquée de Grèce pour lui annoncer une « grande nouvelle », une autre petite amie pas assez enveloppée à son goût et qui pourrait commencer à devenir jalouse et, pour corser le tout, deux meurtriers dont il aurait mieux fait de ne jamais surprendre la conversation.

La troisième histoire, The DOGS of Lincoln Park, nous emmène dans l’univers ultra-superficiel de trois pétasses en tailleur qui ont l’habitude de se retrouver le midi dans un restaurant coréen du centre de Chicago. Leurs conversations, lestées aux anti-dépresseurs, tournent irrémédiablement autour de la platitude de leurs vies professionnelles et amoureuses. Lorsque le cuistot du resto coréen emménage dans le même immeuble que l’une d’elles, celle-ci constate que son seul compagnon, un petit chien qu’elle fait garder par une dog-sitter, a mystérieusement disparu. Voilà son imagination qui prend subitement le relais : les Coréens cuisinent-ils vraiment du chien ?

Si The DOGS of Lincoln Park peut rappeler par moments l’univers des romans de Brett Easton Ellis, Miss Arizona, la quatrième nouvelle de ce recueil, est un énorme clin d’œil à Paul Auster. On y suit Raymond Butler, scénariste en quête de succès qui, pour mettre la touche finale à sa biographie consacrée à un cinéaste américain défunt, entreprend d’interroger sa veuve, une ex-Miss Arizona totalement givrée. Malgré les efforts de Butler, la vieille s’obstine à tourner autour du pot, préférant raconter en long et en large la vie de ses trois autres ex-maris, tous également décédés. Après être enfin parvenu à lui soutirer quelques informations en usant de ses charmes, Butler décide de rendre une dernière visite à la veuve pour lui annoncer que ses travaux touchent à leur fin. Encore faudrait-il que la vieille l’entende de cette oreille.

Enfin, dans The Kingdom Of Fife, une nouvelle qui tient plus du court roman (180 pages divisées en 30 chapitres), Irvine Welsh reprend sa plume la plus dure pour décrire la banlieue populaire de Cowdenbeath, au nord d’Edimbourg. On y suit en parallèle les trajectoires de deux personnages que tout oppose… et dont les destins vont évidemment se croiser. A ma gauche, Jason King, ex-jockey raté. Un accent à couper au couteau, une petite faiblesse pour la Guiness et une habilité de la main droite qui lui permet non seulement d’être une des stars locales du championnat de baby-foot mais également de se décharger régulièrement d’une vie sexuelle proche du zéro absolu. D’une extrême gentillesse, Jason voudrait bien trouver un boulot mais doit faire face à un père qui prône la révolution permanente, condamne toute forme de contribution à la société capitaliste (et donc en premier lieu la valeur travail) et n’écoute plus que 50 Cent depuis qu’il a cru y reconnaître le dernier apôtre du marxisme-léninisme.
A ma droite, Jenni Cahill, post-adolescente en mal de vivre. Elle est la fille d’un richissime homme d’affaires pourri qui ne voit pour elle qu’une seule destinée : devenir une grande championne de saut d’obstacles. Mais pour cela, il faudra d’abord qu’elle accepte de se débarrasser de son cheval boiteux pour en acquérir un plus performant et qu’elle passe un peu moins de temps dans sa chambre à écouter Marilyn Manson.
Ces deux personnages, tellement opposés qu’on se demande s’ils parlent vraiment la même langue, Irvine Welsh va les balader entre tournois de baby-foot, concours de jumping et combats de chiens organisés. Pour le meilleur, mais surtout pour le pire.

Avec ce dernier livre, on l’aura compris, Irvine Welsh tente de se débarrasser de ses vieux démons et parvient à ajouter quelques cordes à son arc tout en conservant son style si particulier qui lui permet de décrire des situations pathétiques avec un humour cru et malsain. Le coup du recueil de nouvelles est plutôt bien joué parce qu’il lui permettra de toucher un public beaucoup plus large qui, jusque là, avait été mis hors jeu, sans doute à cause de la barrière de la langue. Pour ceux qui n’ont jamais lu Welsh en anglais, c’est la meilleure des portes d’entrée.

J’ajouterai que la qualité du travail de couverture des livres anglo-saxons en fait un objet magnifique qui trônera bien en vue sur une bibliothèque.


Le site officiel d'Irvine Welsh : http://www.irvinewelsh.net/
Un extrait de Rattlesnakes : http://www.irvinewelsh.net/books.aspx?bkid=23&subid=2

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