mercredi 11 juillet 2007

Ursula Le Guin – The Birthday Of The World

Au placard Mr Spock

***Article publié par Niaco***

Si vous commencez à tousser dès qu’on parle d’hyperespace ou que le mot « sabre-laser » vous file des boutons, The Birthday Of The World est pour vous l’occasion d’enfin découvrir les joies de la science-fiction. Prenant place, pour la plupart, dans l’univers du Cycle de l’Ekumen (qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu), les nouvelles de ce recueil nous emmènent à travers des mondes aux schémas sociaux inhabituels. Parfois tordus mais toujours terriblement convaincants, les mondes de Le Guin invitent à une réflexion dont la profondeur prend racine dans leur vraisemblance. Petit tour de mes favoris.

Coming Of Age In Karhide nous montre la découverte de la sexualité de deux adolescents dans un monde où être sexué c’est un peu comme les règles : un truc auquel on ne peut pas couper et qui revient régulièrement. Les habitants de Karhide alternent en effet périodes de « somer », pendant lesquelles ils sont asexués, et périodes de « kemmer », durant lesquelles ils développent des traits de genre. Evidemment, ils alternent aléatoirement masculin et féminin, sinon ça n’aurait pas d’intérêt. Intelligent sans être intello, cru sans être vulgaire, souvent touchant, Coming Of Age In Karhide met en scène les grandes questions liées à l’identité sexuelle dans un monde où, justement, l’identité n’est pas déterminée par le genre ou les goûts sexuels.

The Matter Of Seggri met en scène, à travers différents récits, l’évolution d’une société où le taux de naissances est d’un homme pour 16 femmes. Ne souriez pas les gars, c’est un vrai cauchemar. Sans trop d’arrière-pensées féministes, le récit décrit une structure sociale dont les rapports de pouvoir sont calqués sur les données démographiques. En un mot : les hommes ont tous les privilèges, les femmes ont tout le pouvoir réel (éducation technique et intellectuelle, production des ressources indispensables, etc.) On voit bien sûr aussi comment cette structure sociale conditionne les modes de pensée et constitue un frein au changement, même au sein de la société masculine, pourtant dominée. Le talent de l’auteur est de parvenir à montrer les clichés, travers et rapports de force de notre société à travers un miroir inversé, sans pour autant tomber dans le prêchi-prêcha féministe. Palpitant et stimulant.

Enfin, Paradises Lost nous conte l’épopée d’un vaisseau de colons humains. Comme ils voyagent moins vite que la lumière, le voyage s’annonce assez long : deux siècles, ou six générations. C’est la première fois que je lis un récit de science-fiction qui aborde la question du temps nécessaire au voyage interstellaire et surtout de son coût humain. Ici, point d’hyperespace ou de sommeil cryogénique : Le Guin nous livre des humains condamnés à vivre dans un vaisseau pour six générations. Tout le jeu consiste évidemment à bâtir la société qui découle de telles conditions, et à la faire évoluer. On a donc droit à un monde clos, dans lequel recyclage rime avec vertu, confinement et promiscuité avec confort. On assiste alors chez les générations du milieu (qui n’ont pas connu la Terre et ne connaîtront pas la nouvelle planète) au développement d’une pensée qui glorifie la vie dans le vaisseau. Cette pensée évolue jusqu’à devenir une religion qui va nier l’existence d’une destination, et prêcher le voyage perpétuel. Spectacle impitoyable d’une humanité qui passe de l’acceptation à l’exaltation de sa condition, Paradises Lost montre comment la peur et l’ignorance créent le mythe et le portent au statut de croyance, pour enfin le substituer aux faits. Un must.

Voilà pour mes coups de cœur de ce recueil épatant d’un bout à l’autre. Les autres nouvelles décrivent un monde où l’on se marie à quatre, un autre où Dieu est synonyme de roi (raconté par un membre de la famille royale), un troisième aux prises avec une révolte d’esclaves et enfin un dernier, Eleven Soro, où tout ce qui donne du pouvoir sur les autres est diabolisé et où, par conséquent, la vie sociale est réduite au minimum.

Paru en version française sous le titre L’Anniversaire du Monde, The Birthday Of The World nécessite un bon niveau d’anglais pour être lu en version originale (en gros, si vous lisez Harry Potter avec un dico à côté de vous, laissez tomber).

Pour les ignares qui, comme moi, n’en avaient jamais entendu parler avant, Ursula Le Guin est également l’auteur du Cycle de Terremer. Elle a reçu un paquet de prix, dont le prix Hugo pour Les Dépossédés, un roman du Cycle de l’Ekumen. Elle écrit également des essais et de la poésie.
A découvrir d’urgence.

Edition anglaise: Ursula Le Guin : The Birthday Of The World, Gollancz, 2004
Edition française: Ursula le Guin: L’anniversaire du Monde, Coll. Ailleurs et Demain, Robert Laffont, 2006

Liens utiles
Site de l’auteur :
http://www.ursulakleguin.com/UKL_info.html
Wikipedia: http://fr.wikipedia.org/wiki/Ursula_Le_Guin
Wikipedia (anglais): http://en.wikipedia.org/wiki/Ursula_K._Le_Guin

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